Shula Ndiaye, une artiste engagée auprès des Jeunes
Porte parole des jeunes, Shula utilise sa musique pour faire passer un message / dénoncer les problèmes auxquels sont confrontés les jeunes
Alors que le Système des Nations Unies au Sénégal célébrait en 2020, à l’instar de tous les pays membres, le 75ème anniversaire de l’ONU, elle faisait partie des artistes qui avaient accepté de soutenir au Sénégal, la consultation mondiale sur « l’avenir que nous voulons – l’ONU que nous souhaitons », à laquelle 54000 Sénégalais avaient participé, en majorité des jeunes.
De son vrai nom Ramatoulaye Ndiaye, cette artiste chanteuse et entrepreneure culturelle sénégalaise originaire de la ville de Rufisque, continue inlassablement de mettre son art au service de sa communauté, en particulier, les jeunes filles, les femmes et les jeunes. « Pour moi, un artiste est nécessairement engagé dans la mesure où nous tenons notre légitimité du fait même de la place de choix que la société nous permet d’occuper, pour que nos voix portent plus que celles des autres. Nous avons donc une obligation morale de mettre notre art au service de cette société, de l’aider à panser ses plaies et à exprimer ses aspirations. », explique -t-elle avec détermination.
Issue d’un quartier populaire où l’échec scolaire, le chômage et la précarité touchent beaucoup de jeunes, Shula a très tôt senti le besoin de se faire une porte-parole de leurs rêves, de leurs inquiétudes et de leurs aspirations. Sa musique est alors très vite devenue un outil de plaidoyer, pour que les problèmes des jeunes soient mieux pris en compte par les décideurs publics. Sa chanson « Jangum Jigueen » (l’éducation des jeunes filles) sur la scolarisation et le maintien des filles à l'école, produite en collaboration avec l'ONG Plan Sénégal, eût un grand impact, en particulier auprès des populations en zone rurale. Shula compte à son actif des dizaines d’autres collaborations, y compris avec des Agences du Système des Nations Unies, dans le plaidoyer en faveur de l’éducation des filles, l’entreprenariat des jeunes, le dépistage du cancer du sein, la lutte contre l’immigration clandestine, l’excision, l’illettrisme, etc.
Une musique entre tradition et modernité
Shula qualifie elle-même sa musique d’Afro-folk acoustic qui est en réalité le résultat d’un long itinéraire de recherche sur le patrimoine culturel et musical sénégalais et africain. Aussi, est-elle très jeune marquée par la beauté et la profondeur des mélodies de grandes voix griottes de la chanson traditionnelle sénégalaise comme Khar Mbaye Madiaga, Diabou Seck la Saint-louisienne, Fa Mbaye Issa Diop, Yandé Codou Sène, mais également Ndiaga Mbaye, Amadou Ndiaye Samb ou encore Samba Ndiabaré Samb. A côté de cet ancrage dans la tradition de son pays, les grandes voix noires américaines nourrissent également son identité artistique. Ela Fitzgerald, Billie Holiday, Dina Washington et Aretha Franklin font entre autres partie de ses références. Bob Dylan bien évidemment et la tradition des « songwriters » du mouvement folk, mais également Bob Marley, Tracy Chapman, Imaël Lo, Cheikh Lo, Ali Farka Touré, Angélique Kidjo, ou encore Nora Jones, ont beaucoup influencé Shula.
La question de l’identité est consubstantielle de son engagement, notamment son identité de femme noire, Sénégalaise et Africaine. Cette préoccupation permanente apparait dans ses choix de costumes, de coiffures, mais aussi dans la scénographie de ses concerts. « Je suis convaincu que c’est en réinvestissant les valeurs promues par nos traditions, que nous pourrons faire face aux défis d’aujourd’hui. C’est un message que je ne cesserais de rappeler aux jeunes pour qu’ils puissent se défaire des complexes qui les freinent. Il faut que nous croyions de nouveau en notre capacité d’entreprendre, de réaliser de belles choses et d’exceller dans tous les domaines, y compris les plus innovants ».
Shula acoustic tour
Pour faire de la musique de proximité et porter des messages forts, Shula a initié depuis le 21 juin 2010 le « Shula acoustic Tour », une tournée annuelle qu’elle veut multidimensionnelle avec une approche socioculturelle participative, à travers une scène itinérante qui sillonne le pays, autour des arts et de la culture au service du développement. A travers ce projet original, elle a souhaité allier la musique, l’action humanitaire et les échanges artistiques. La tournée est placée sous le thème de la paix, du développement local et de la place des femmes et des jeunes dans ce processus. Ces tournées l’ont amené à revisiter le folklore Lébou, mais également les traditions musicales des différentes contrées du pays. Elles ont surtout été l’occasion de collaborer avec des artistes locaux très divers, dont des musiciens, des peintres, des sculpteurs, des stylistes, etc. Des artistes de renom comme le peintre Kalidou Kassé qui a eu à réaliser des décors de scène de la tournée, et d’autres comme Henry Guillabert du mythique groupe Xalam, ont également collaboré avec elle. Feu Doudou Ndiaye Coumba Rose, le grand batteur tambour major, Adja Khar Mbaye Madiaga et feu Joshef Ndiaye, ancien conservateur du musée de Gorée, ont été les parrains honoraires de la tournée, par devoir de mémoire selon l’artiste. A cause de la pandémie de COVID-19, le Shula acoustic Tour a été en partie digitalisé et constitue une des composantes d’un projet plus large intitulé « Jàmm » (la paix) qui est un plaidoyer pour la promotion de la paix grâce à la culture.
Engagée dans la lutte contre la COVID-19
La pandémie a fortement impacté la vie des Sénégalais et les artistes ont particulièrement souffert des restrictions imposées par la situation sanitaire. Malgré les contraintes, Shula a tenu à mettre son expérience au service de la sensibilisation sur le respect des mesures barrières et de la vaccination. La chanson « Come to me » a été spécialement écrite pour rendre hommage au personnel de santé du monde entier durant la pandémie.
Dans un regard rétrospectif sur la pandémie, Shula livre une réflexion très personnelle sur la manière de tirer parti de la crise, en soutenant les jeunes.
A ce propos elle déclare : « La pandémie doit nous permettre d’avoir un regard critique sur notre société, car elle a révélé dans le même moment, beaucoup de problèmes que nous refusions de voir. Nous avons besoin d'une réelle évaluation de cette crise sanitaire sans précédent et surtout repenser le développement et identifier des pistes de solutions, en mettant les jeunes au cœur de la définition et de la mise en œuvre de nos stratégies de développement. Il faut qu’au Sénégal nous arrêtions un peu cette condescendance vis-à-vis des jeunes, qui consiste à croire qu’ils sont incapables de réfléchir et de construire leur avenir. Ils sont les premiers concernés et pendant trop longtemps on les a exclus. Pourtant ils comprennent mieux que quiconque les nouveaux enjeux de développement, dans lesquels le numérique occupe une place importante. Profitons justement du contexte que nous vivons pour les impliquer les en accompagner, et en s’appuyant sur la valorisation de nos belles richesses culturelles via le tourisme, le stylisme et l'industrie textile, le cinéma, la musique avec les plateformes de vente en ligne, l'éducation, la santé, les sciences, le sport, l'art culinaire, la restauration, l'agrobusiness, l'environnement, le secteur des transports, la communication, les télécoms, l'audiovisuel, etc. ».
Au terme de l’entretien qu’elle nous a accordé, nous avons eu la chance d’écouter quelques chansons de l’album qu’elle est en train de préparer, avec toujours des thématiques engagées, des messages positifs et percutants et des mélodies qui vont à coup sûr ravir les mélomanes. La chanson « Yow Sénégal » est peut-être celle de l’album qui symbolise le mieux l’engagement de l’artiste, qui rappelle que la musique adoucit certes les mœurs, mais doit également continuer à éveiller les consciences.