Entretien avec Mme Oulimata Sarr, Directrice Régionale, ONU Femmes Afrique de l’Ouest et du Centre
A l’occasion de la journée internationale des femmes, célébrée ce 8 mars, sous le thème « l’égalité des sexes aujourd’hui pour un avenir durable », ...
A l’occasion de la journée internationale des femmes, célébrée ce 8 mars, sous le thème « l’égalité des sexes aujourd’hui pour un avenir durable », Mme Oulimata Sarr, Directrice Régionale d’ONU Femmes pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, revient sur l’engagement de l’Agence qu’elle dirige en faveur des femmes, au Sénégal et dans la sous-région.
En reconnaissance de la contribution des femmes et des filles du monde entier qui mènent l’offensive quant à l’adaptation et la réponse aux changements climatiques et à leur atténuation, en faveur de la construction d’un avenir plus durable pour toutes les personnes, la Journée internationale des femmes célébrée le 8 mars 2022 est placée sous le thème de « L’égalité aujourd’hui pour un avenir durable ». Comment ONU Femmes aide-t-elle à faire avancer cette problématique au Sénégal et dans la sous-région ?
ONU Femmes soutient l'autonomisation économique des femmes conformément à ses engagements et s'appuie sur des études de plus en plus nombreuses qui montrent que l'égalité des sexes contribue de manière significative au développement économique et durable. Au niveau opérationnel, au Sénégal, ONU Femmes soutient la participation effective des femmes dans les chaînes de valeur agricole avec un focus sur l’agriculture résiliente au changement climatique depuis 2018. Nous organisons les agricultrices en coopératives en fonction de la chaîne de valeur (riz, céréales locales et fruits de saison) et soutenons leur accès au financement, à la terre, à la technologie, aux compétences et au marché. Nous travaillons avec plus de 25 000 femmes au Sénégal. C’est ainsi que nous contribuons à rendre les femmes plus autonomes économiquement, plus résilientes et mieux outillées en matière d’adaptation et d’atténuation au dérèglement climatique. Au niveau politique, nous aidons les pays à intégrer le genre dans leurs stratégies et politiques relatives à la transition vers l’économie verte. A titre d’exemple nous menons un programme de recherche avec la Banque Africaine de Développement sur l’économie verte et venons tout juste de publier le rapport intitulé : « Des emplois verts pour les femmes en Afrique ». Nous utilisons toutes ces ressources pour influencer les politiques publiques, afin que nos Etats puissent élaborer des stratégies nationales d’économie verte qui placent les femmes au centre de la réflexion, pour leur donner accès à davantage emplois verts.
Femmes et changement climatique : Pouvez-vous nous faire l’état des lieux de la question au Sénégal ?
Le Sénégal à l’instar des pays du Sahel est très vulnérable au changement climatique en raison de la dépendance de son économie à l’agriculture. Étant donné que les femmes jouent un rôle essentiel dans l’agriculture (plus de 70% de la main-d’œuvre) et en raison de leur forte dépendance aux ressources naturelles pour l’agriculture et pour leurs tâches domestiques, elles sont particulièrement touchées par le changement climatique. Le nord du Sénégal, zone essentiellement agricole et pastorale est particulièrement affecté par les effets du dérèglement climatique.
Afin de limiter les contraintes que le changement climatique fait peser sur les rendements agricoles, ONU Femmes a mis en place le projet d’Appui aux Femmes dans l’Agriculture et le Développement Durable (PAF/AGRIFED) en 2018. Grâce à un financement de près de deux millions de dollars US de BNP Paribas, ONU Femmes a pu renforcer les capacités de près de 16 000 femmes du Réseau des Femmes Agricultrices du Nord (REFAN). Ce projet a fourni à ces agricultrices les connaissances leur permettant de s’adapter au changement climatique. Ainsi, 700 productrices de riz ont amélioré leurs connaissances sur l’agriculture résiliente au changement climatique, à travers la formation de formateurs et la formation professionnelle dans les champs-écoles des agriculteurs. Nous avons également participé à leur autonomisation en faisant bénéficier à environ 1 600 femmes d’une ligne de crédit de 350 000 000 FCFA mise en place par BNP Paribas et gérée par BAOBAB pour financer la production et la commercialisation. Nous avons appuyé par ailleurs la sécurisation des terres octroyées aux femmes, la mise en place et l’adoption de sept chartes locales et de plans d'action de gouvernance foncière garantissant et protégeant les droits fonciers des femmes.
Après plus de 2 ans de pandémie, l’heure est à la relance socio-économique. Quel rôle a joué ONU Femmes durant cette crise et quel sera la place des femmes dans ce processus de reprise, et particulièrement dans l’économie verte ?
Lorsque survient une catastrophe ou crise, les femmes sont souvent les plus durement affectées. Au plus fort de la pandémie, ONU Femmes et ses Agences sœurs ont mis en place des initiatives majeures pour soulager les femmes. La première est l’initiative conjointe « Panier de la ménagère », réalisée avec la FAO et l’UNFPA. D’un montant de 450 millions de FCFA, elle consistait à apporter un revenu à environ 5 800 producteurs locaux et à fournir à environ 3 400 ménages vulnérables un panier composé de produits alimentaires diversifiés et nutritifs. A côté de cela, toujours pour lutter contre la baisse des revenus durant la Covid-19, nous avons formé plus de 2 000 femmes du GIE « Union pour le développement des Femmes de Yoff (UDEFY) » à la fabrication de savons et à la transformation de produits alimentaires. Cette initiative débutée en 2020 s’est tout d’abord déroulée en ligne, elle perdure encore et permet à ces femmes de tirer des revenus issus de la vente des produits transformés et des savons. Par ailleurs nous avons appuyé le Gouvernement du Sénégal dans la riposte contre la pandémie, notamment à travers la sensibilisation, la distribution de centaines de kits d’hygiène, des dons en nature à plus de 3 100 personnes, entre autres actions.
L’heure est à la reprise et surtout à la prise en compte de la vulnérabilité des femmes qui a été exacerbée par la pandémie. La reprise doit être inclusive et verte au Sénégal. C’est pourquoi avec nos partenaires, nous cherchons des moyens d’assurer que la transition vers l’économie verte ne se fasse pas sans les femmes.
Les conclusions de nos rapports sur l’emploi vert sont que les femmes sont bien positionnées dans les secteurs qui créeront des emplois soutenables, mais qu’elles n’occuperont pas les meilleures places et y seront moins nombreuses que les hommes.
A ce sujet, je dois mentionner l’initiative PSE Vert, du Gouvernement du Sénégal, un programme du Plan Sénégal Emergent qui constitue une ligne directrice pour toutes les initiatives mises en place par les partenaires au développement qui travaillent autour de la problématique du changement climatique. Six secteurs ont été définis comme prioritaires par cet ambitieux programme : l’énergie, la foresterie, l’agriculture, l’eau et l’assainissement, l’industrie, l’urbanisme et la construction. Nos programmes et projets sont alignés au PSE Vert avec comme objectif de contribuer à l’atténuation et l’adaptation aux effets du changement climatique, à la gestion durable des ressources naturelles et la préservation des écosystèmes au Sénégal, avec les femmes comme actrices principales.
Si nous voulons que les femmes et les entreprises dirigées par des femmes soient au centre de l’économie verte dans les prochaines décennies, nous devons influencer les politiques maintenant. Nous devons travailler sur les déséquilibres dans l’accès aux financements, aux marchés publics ou encore au foncier. Nous devons aussi nous attaquer au problème du travail non rémunéré des femmes. Il faut impérativement soutenir la formation et l’éducation des femmes et des filles, afin qu’elles puissent faire face aux nouveaux défis de cette économie verte. Il existe des possibilités de tirer parti de l’instrument qu’est la finance verte, les passations de marchés écologiques ou encore le marché du carbone, pour s’assurer que les femmes occupent une bonne place.
Les problématiques de l’égalité, du respect des droits des femmes et leur autonomisation, de leur résilience sont des questions transversales qui concernent la quasi-totalité des Agences du Système des Nations Unies. Comment jugez-vous la collaboration entre les Agences sur ces questions et comment les initiatives conjointes, programmes et politiques peuvent-elles être renforcées ?
Au niveau local, nous travaillons avec entre autres institutions publiques : l’Agence de Développement et d’Encadrement des Petites et Moyennes Entreprises (ADEPME), le Réseau des Femmes Agricultrices du Nord (REFAN), la Société d’Aménagement et d’Exploitation des terres du Delta et de la Vallée du fleuve Sénégal (SAED), les Agences Régionales de Développement (ARD). Des initiatives identiques se déroulent également dans de nombreux autres pays de la sous-région.
Au niveau bilatéral, nous travaillons en synergie avec les Agences des Nations Unies pour avoir un impact significatif sur la vie de nos bénéficiaires. Grâce à la transversalité de la thématique genre, nous parvenons à travailler en synergie avec beaucoup d’Agences. J’ai cité au tout début de l’interview l’initiative conjointe « Le panier de la ménagère », mais je peux aussi citer le projet entre le PNUD, ONU Femmes et UNFPA sur la sécurité humaine dans les communes de Fass-Gueule-Tapée-Colobane.
Les collaborations entre Agences sont courantes et permettent d’atteindre des résultats tangibles. Le bien être des populations reste au cœur de toutes nos interventions. Ce dénominateur commun qui est à l’origine de notre mandat à tous, fait que nos interventions se rejoignent naturellement. Nous faisons partie d’un même système dont nous partageons les valeurs et la logique. A l’avenir, je prédis plus de synergies, car les interconnexions sont de plus en plus nombreuses dans le monde où nous vivons. Actuellement, alors que les crises multiformes sont légion et parfois interdépendantes, une seule intervention ne peut permettre de soulager durablement ou de satisfaire les communautés dans le besoin. De ce fait, nous devons travailler ensemble pour fournir une réponse holistique, de manière à sécuriser les populations que nous servons.
Mme Oulimata Sarr
Directrice Régionale, ONU Femmes Afrique de l’Ouest et du Centre